Sur les traces de Feledel.
Chapitre Ier. Une nuit d’été.La forêt d’Amakna était plongée dans l’obscurité. Les feuilles des arbres laissaient à peine passer la lumière de la Lune.
Des hurlements de Milimulous se faisaient entendre de part et d’autre d’Amakna. La forêt aurait effrayé plus d’un aventurier…
Soudainement, aux cris des bêtes se mêlèrent ceux de bébés.
Deux bébés qui venaient de voir le jour, ou plutôt la nuit…
Les Milimulous se turent, la nuit redevint silencieuse si ce n’est quelques chuchotements qu’on percevait dans la forêt, près du Kanojedo :
- « Qu’allons-nous faire Felendril ? »
La Sacrieuse qui venait de prononcer ces mots lançaient des regards inquiets aux deux nourrissons qu’elle tenait dans ses bras.
Elle était assise dans l’herbe, le dos appuyé contre un chêne, la mine épuisée, ses cheveux, d’ordinaire attachés avec soin, en désordre.
Le Iop à qui elle s’adressait se mit à faire les cent pas. Il avait de grands yeux sombres, des cheveux d’un noir de jais, et un visage dur et bienveillant à la fois.
Ses kamas tintaient dans sa bourse au rythme de sa marche.
-« Nous avons prêté serment Harael, si il les trouve, il nous tuera et…qui sait ce qu’il adviendra d’elles. »
Harael regarda son époux, l’air effrayé.
Elle n’avait jamais senti qu’elle possédait l’instinct maternel. Mais c’était différent maintenant. Tenir ces deux petits êtres fragiles dans ses bras s’avéra être une révélation pour cette jeune guerrière.
- « Nous pourrions nous enfuir avec elles ! J’en ai assez de cette vie. Nous avons fait assez de mal comme ça…pas à elles…nos filles…Felendril ! »
Le Iop s’assit sur les restes d’un arbre, face à son épouse. Il cacha son visage dans ses mains. Il devait réfléchir…
- « Il est puissant. Tu penses vraiment qu’il nous laisserait nous enfuir alors que nous lui avons juré fidélité ? »
Harael laissa échappé, malgré elle, quelques larmes qui s’évanouirent sur le sol. Elle regarda avec regret ses deux filles. Un silence pesant s’installa jusqu’à ce qu’elle le rompe, d’une voix légèrement rauque.
- « J’ai peut-être une idée, j’y avais pensé au cas où nous n’aurions vraiment pas d’autre solution... »
Felendril tourna la tête vers Harael d’un air perdu. Il se sentait tellement coupable…elle l’avait suivi par amour, et il regrettait profondément de l’avoir encouragé à le faire.
Elle poursuivit :
-« Mon père et moi ne sommes plus en bons termes mais je sais qu’il prendra soin des petites comme il a prit soin de moi. Il pourra s’en occuper jusqu’à ce que nous...soyons débarrassés de nos obligations. »
Felendril contempla le visage innocent de ses deux filles. L’une ressemblait beaucoup à Harael, l’autre semblait tenir de lui.
-« Tu ne lui as plus jamais parlé depuis que tu as rejoint notre camp. Tu penses qu’il serait prêt à faire ça pour toi ? »
-« Oui, j’en suis convaincue. Et il vit toujours ici à ce que j’ai entendu dire. »
Felendril n’en dit pas plus, il se leva, rassembla leurs affaires, aida Harael à se lever et prit l’une des petites dans ses bras. Elle avait des yeux sombres et le peu de cheveux qu’elle possédait semblait très foncé, comme lui…
Ils marchèrent une heure durant, se méfiant du moindre bruit qu’ils entendaient. Personne ne devait les voir. Si quelqu’un de leur camp les voyait avec les bébés…
Ce secret devait être bien gardé.
Ils arrivèrent devant la chaumière. Cela faisait plus de cinq longues années qu’ils n’avaient pas remis les pieds - ni rien d’autre d’ailleurs - à cet endroit. Il n’y avait aucune lumière, comme ils l’avaient prévu.
Harael sortit une plume de Corbac, de l’encre, ainsi qu’un vieux parchemin plié. Après un regard à son mari, elle commença à écrire. Elle prit du temps pour trouver les bons mots.
Au bout d’un moment, elle leva les yeux du parchemin.
-« Tu choisis un nom et moi un autre ? » demanda-t-elle à mi-voix.
Ce détail était complètement sorti de l’esprit de Felendril. Cela lui brisait le cœur de devoir donner un nom à ses filles pour les abandonner ensuite. Il regarda les bébés qu’il avait dans les bras. Il désigna celle qui lui ressemblait étonnement :
-« Celle-ci s’appellera Feledel, dit-il dans un souffle ».
Harael sourit et répondit :
-« Et l’autre s’appellera Fedehara. »
Elle écrivit une ou deux dernières choses sur le parchemin. Felendril déposa les petites dans un petit panier, Harael scella la lettre et l’attacha au landau avec un fil de lin.
-« Nous n’avons plus qu’à adresser une ou deux prières au Cœur d’Iop et au Sang de Sacrieur. »
Les parents, la conscience lourde et l’estomac noué, disparurent dans la forêt, laissant ce à quoi ils tenaient le plus à présent derrière eux.